Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« C'est quoi ce cirque ? », tome 15 des aventures du Marsupilami. Chez Marsu Production.

Franquin avait abandonné les droits sur le Marsupilami de son vivant. Il ne faut donc pas regretter que la sympathique bestiole vive des aventures qui ne sont plus nécessairement dans l'esprit de son créateur. Ainsi, cet album de gags confine-t-il le Marsupilami dans un rôle d'animal de cirque, un cirque très inspiré lui-même d'une aventure de Spirou et Fantasio, « Bravo les Brothers » (publiée à l'occasion du tome 19 des aventures de Spirou et Fantasio, « Panade à Champignac ») dans laquelle le dresseur Noé avait vendu ses singes à Gaston. Bref, tout ça pour dire... que le Marsu de ce quinzième album vit des gags d'une page essentiellement en compagnie de Lucas, un petit garçon du cirque Zabaglione qui est son meilleur ami. Dugomier propose des planches inégales, mais dans l'ensemble, il exploite bien toutes les ressources de l'animal pour inventer des situations loufoques ou comiques. Les gags récurrents avec l'agent de police et la cage dans laquelle Lucas est obligé de balader le Marsupilami rappelleront les affres de Gaston face à l'intransigeance d'un Longtarin. Mais bien sûr, tout cela n'est QUE gentil et honnêtement dessiné. Nulle trace du génie de Franquin dans ces pages, ce qui n'empêchera nullement les plus petits d'en raffoler.
Le signe des démons (Sillage) par Thierry Bellefroid
« Le signe des démons », tome 4 de la série Sillage, par Morvan et Buchet. Dans la collection Néopolis des éditions Delcourt.

A chaque album, c'est la surprise. Que vont explorer Morvan et Buchet ? Les thèmes se suivent et ne se ressemblent pas, c'est sans doute un des atouts majeurs d'une série qui ne cesse d'agrandir le cercle de ses adeptes. Après un épisode qui explorait une SF rétro (un style de SF qui se définit par le terme « steampunk » pour les puristes) sur une planète peuplée d'humanoïdes trop proches de Nävis pour être tout à fait honnêtes, voici un album faussement calqué sur les codes de l'Héroïc Fantasy. Tout y est, l'univers merveilleux des contes, les oiseaux porteurs, les petits lutins attaqués par de grosses brutes sur leur joli moulin posé en haut d'une gigantesque chute d'eau, les légendes anciennes et la quête de liberté de tout un peuple promis depuis toujours à l'esclavage. Et pourtant, c'est du Sillage, du vrai. Parce que tout cela, tout ce décorum, c'est l'écrin d'une nouvelle aventure de Nävis. Bref, un prétexte pour la confronter au monde, pour la voir grandir, mûrir. Une aventure dans laquelle le lecteur découvrira Bobo sous un nouveau jour ; le voici l'égal de Nävis, agent « spécial », lui aussi. Mais votre surprise sera plus grande encore en découvrant Houyo, le tigre avec lequel Nävis vivait sur sa planète, avant l'irruption de Sillage dans son univers, et qui n'avait survécu que l'espace de quelques pages avant d'être sacrifié par les auteurs. Lorsque vous verrez ce que Morvan a imaginé pour cette jolie bestiole dans ce tome 4, vous comprendrez qu'il n'est jamais à court d'idées. Des idées, Sillage en fourmille. Sous l'apparente légèreté de la série, le scénariste explore les uns après les autres les travers de notre bonne vieille société. Corruption, idéalisme et trahison sont au menu, cette fois. Sans parler de l'individualisme puisque la Constituante envoie Nävis en mission au sein d'un petit groupe d'individus tous dotés d'un sacré caractère. Une belle histoire, comme on aimerait en lire chaque semaine.

" La symphonie maléfique ", tome 1 de " La Maison Dieu ", par Rodolphe et Nathalie Berr. Chez Albin Michel.

" Ils sont neuf. Dotés soudainement de pouvoirs incroyables. Terrifiants. Que vont-ils en faire ? Que vont-ils nous faire ? " C'est avec ces quelques mots en quatrième de couverture que le lecteur pourra se faire une idée de ce qui l'attend à la lecture de " La maison dieu ", une nouvelle série due au scénariste déjà bien connu de " Trent ", Cliff Burton ", " Dock 21 " et plusieurs autres : Rodolphe. En fait de pouvoirs terrifiants, vous ne découvrirez dans ce premier tome que ceux d'une partie du groupe. Rodolphe a choisi de centrer l'histoire sur un personnage, surtout, Pierre. C'est lui qui sert de fil rouge au lecteur pour pénétrer cet univers à cheval entre fantastique et thriller. Pierre, comme son ami Philippe, était un médiocre, jusqu'au jour où il a reçu le don. Aujourd'hui, l'un est un brillant chef d'orchestre, l'autre un champion olympique. Tous les deux se sont métamorphosés sans prévenir, du jour au lendemain. Ils ont maigri, rajeuni, sans aucune explication. Pour profiter de leur incroyable pouvoir, ces surdoués sont obligés d'effacer les témoins de leur transformation. Ils iront jusqu'au meurtre pour préserver leurs privilèges. D'où vient ce don du ciel qui les a cueillis au sortir de l'adolescence ? Qui sont ceux qui semblent les avoir repérés et tentent de les enlever pour les soumettre à des examens approfondis et percer leurs secrets ? Quels liens y a-t-il entre eux ? Ce sont toutes ces questions que le récit imaginé par Rodolphe soulève page après page. La plupart des réponses viendront plus tard, au fur et à mesure des albums. Mais le suspense est déjà là, bien établi dès les premières planches, aidé par le dessin réaliste de Nathalie Berr. Incontestablement, un très bon début.
« Vieux Fou contre Godzilla », par Moynot et Dieter, dans la collection Sang Froid des éditions Delcourt.

Après un premier album aussi étonnant qu'inattendu et un deuxième qui n'avait pas démérité, voici le dénouement du casse du casino de Biarritz par la bande de vieux anars espagnols aidés du jeune Joaquim. Et le soufflé retombe dangereusement ! Bien sûr, il y a quelques bons moments dans cette rocambolesque suite, mais les personnages semblent tellement prisonniers de leur rôle qu'on se surprend... à ne plus être surpris ! Peut-être était-ce l'album de trop. Reste un univers déjanté que personne avant Moynot et Dieter n'avait au l'idée d'explorer, qui plus est sur un ton aussi jubilatoire. Reste une mise en couleurs très réussie pour un auteur longtemps cantonné au noir et blanc (un auteur que « Monsieur Khôl » dans la collection Carrément BD de Glénat a cependant installé au rang des grands coloristes !). Le seul personnage qui surprenne vraiment dans cette farce énorme est la mère de Joaquim. C'est sans doute elle qui apporte l'indispensable touche de fraîcheur à ce troisième album finalement assez dispensable...
« Par des temps incertains », une aventure de Valérian, agent spatio-temporel. Par Christin et Mézières. Chez Dargaud.

Valérian et Laureline renouent avec la meilleure période de leurs aventures, celle des albums « Métro Châtelet direction Cassiopée », « Brooklyn Station terminus cosmos », « Les spectres d'Inverloch » et « Les foudres d'Hypsis ». Quatre albums mythiques qui ont définitivement assis la série au rang de classique de la SF en BD. Mais cette nouvelle aventure renoue aussi avec une série d'autres personnages ou d'objets issus d'aventures précédentes tantôt anciennes (« La cité des eaux mouvantes », « Les héros de l'équinoxe ») tantôt récentes (« Otages de l'ultralum », « Les cercles du pouvoir »...). Tout simplement parce que Christin ose la pari fou de donner un sens à un univers qui devient de plus en plus difficilement cohérent. Parce qu'il tente de boucler la boucle, de jouer avec le temps, l'espace, les paradoxes spatio-temporels et les deux hypothèses d'avenir terrestre qui se côtoient dans la série. C'est ambitieux, risqué et pour tout dire, brillamment réussi ! D'autant que le scénariste égratigne au passage une série de thèmes contemporains qui lui sont chers : progrès non-maîtrisés de la science et surtout, recherche frénétique du profit pour lui-même. En mettant Valérian et la délicieuse Laureline sur les traces de l'hiatus qui a fait disparaître la terre d'après 3152, l'auteur s'amuse à dépeindre à sa manière, caustique et critique, la société d'aujourd'hui. C'est intelligent, comme toujours on en a pour son argent puisque l'histoire est à la fois inscrite dans la continuité de la série et conçue comme un one-shot et pour le même prix, Christin retrouve un humour léger qu'il avait tendance à perdre ces derniers temps, toutes séries confondues. Bref, la surprise est générale. Elle est malheureusement moins agréable au plan graphique. Mézières s'ennuie-t-il ? On peut se poser la question. A part quelques pages -dont la magnifique planche des pages 56-57- on a souvent l'impression qu'il va au charbon, voire parfois, qu'il bâcle (pour vous en convaincre, relisez « Otages de l'ultralum », c'était il y a cinq ans, seulement, quelle différence !) C'est d'autant plus dommage que la série, elle, se réveille après quelques albums ronronnants.
« Adalbert perd les pédales », tome 2 de la série « Le roi catastrophe », par Trondheim et Parme. Chez Delcourt Jeunesse.

L'excellente collection Delcourt Jeunesse semble décidément exempte d'erreurs de parcours. L'une des meilleures surprises de cette année aura été l'arrivée de ce petit « roi catastrophe ». Et voilà que l'increvable Trondheim a déjà imaginé un tome 2. Rien à dire, c'est au moins aussi drôle que le tome 1. Voire plus. Les trois histoires courtes dessinées par Fabrice Parme sont délicieuses de drôlerie et de péripéties inattendues. Trondheim soigne particulièrement ses chutes surtout celle de « le chocolat ne fait pas le bonheur », histoire très amusante dans laquelle Adalbert lance un nouvelle économie juste pour ne pas se sentir humilié par son cousin Romaric (« Je déteste mon cousin Romaric. Il est prétentieux, orgueilleux, richissime et, comble de tout, il a un an de plus que moi »). Dans la première histoire, Adalbert se voit adjoindre les services d'un bodyguard qui doit beaucoup au talent graphique de Fabrice Parme et qui finit par être hilarant lorsqu'il commente les attentats de phalanges plus farfelues les unes que les autres auxquels il échappe en compagnie de son protégé. Tout cela ravira le jeune public -c'est le but- mais ne devrait pas moins amuser les grands enfants que beaucoup d'entre nous sont restés !
G. comme Gowap (Le Gowap) par Thierry Bellefroid
« G... comme Gowap », recueil N°5 des gags du Gowap. Par Mythic et Curd Ridel. Au Lombard.

Le Gowap new look est arrivé. La maquette revue et corrigée, apparemment pour attirer le regard des plus jeunes (l'autre faisait peut-être un peu plus adulte, mais elle était tellement plus jolie...), ne doit pas nous tromper sur la marchandise. Mythic et Curd Ridel tiennent un personnage qui est naturellement atypique et sympathique, drôle, gaffeur, goinfre, incongru dans le paysage et pourtant transformé en animal de compagnie... bref, le héros idéal pour une série à gags. Mais le succès du Gowap tient au moins en partie à sa famille d'accueil et surtout à Géraldine, sa petite copine. C'est donc toute la galerie de personnages qui est au point. Les strips (Ridel et Mythic en ont déjà imaginé plus de quatre cents), voire les gags en un seul dessin prouvent que la concision est souvent la meilleure arme des humoristes. Vous l'aurez compris, voilà une série qui, sans faire beaucoup de bruit, fait partie de la moyenne supérieure parmi les dizaines de BD d'humour présentes sur le marché. Pourvu que ça dure !
Ca change tout ! par Thierry Bellefroid
« Ca change tout ! » par Pessin. Dans la collection Humour des éditions Glénat.

Glénat inaugure une nouvelle collection d'humour. L'éditeur n'en est pas à son coup d'essai dans ce domaine. Qu'on se souvienne des traductions de Mafalda ou des albums de Serre (qui seront en partie réédités dans cette collection). Mais cette fois, il s'agit d'éditer non plus un ou plusieurs auteurs à succès, il s'agit de créer un univers. Avec une première salve de deux albums de cartoons, Glénat donne le ton. Qu'il s'agisse de ce « Ca change tout ! » ou de « Ils sont parmi nous », l'autre album publié lors de la première salve, l'esprit est à la dérision et à la concision. Des dessins sobres et des gags qui font sourire quand ils ne font pas grincer des dents.
Pessin, qui officie dans le journal Le Monde, croque dans « Ca change tout ! » la plupart des travers de notre belle société moderne. Ordinateur, téléphone mobile, mal-bouffe, clonage et autres progrès de la science... Deux coups de marqueur pour tracer des personnages anonymes et une ou deux petites phrases de dialogue entre eux : il n'en faut pas plus quand on a du talent. Ça donne des petites phrases du genre : « Le problème, dans cette révolution informatique, c'est qu'on ne sait pas qui se révolte ». Ou « Cet ordinateur, c'est quand même cher pour ce que tu n'arrives pas à faire avec ». Ou encore : « De plus en plus, on sait ce qu'on mange et on le mange quand même ! ». Un dernier ? : « Avez-vous la cassette « apprenez à vivre sans la télé » ? ». Bref, Pessin donne dans la caricature. Mais ce ne sont pas nos hommes politiques qui sont croqués sous sa plume, ce sont nos petits travers à nous et notre monde de fous...
Relayer - T. 1 (Relayer) par Thierry Bellefroid
« Relayer », tome 1. Par Liberge et Gravé. Chez Pointe Noire.

Ceux qui connaissent « Monsieur Mardi-Gras Descendres » et « Le dernier Marduk », les deux autres séries commencées par Eric Liberge, savent qu'il affectionne les univers fantastiques en déliquescence. « Mardi Gras Descendres » (Pointe Noire) raconte une vision du purgatoire où des squelettes errants tentent tant bien que mal de rester entiers. « Le dernier Marduk » (PMJ) aborde quant à lui les relations entre une ville victime d'une maladie étrange et ses habitants. On retrouve ces thèmes dans « Relayer », le nouveau projet d'Eric, pour la première fois confié à un autre dessinateur, Vincent Gravé. Un monde aquatique « post-moderne » dans lequel quelques humains font figure de reliques. Des espèces mutantes crées en fonction de leur utilité dans la cité. L'ombre d'un génie -le père du héros- dépassé par ses inventions. Des poissons électriques. Les inventions ne manquent pas et l'esprit imaginatif d'Eric Liberge donne toute sa mesure dans ce conte fantastique. Il lui manque toutefois un peu de place pour aller au-delà de la simple présentation des acteurs. C'est un défaut de plus en plus courant aujourd'hui : les premiers albums de série ont un petit air de teasing. Oh, regardez le bel univers, les belles couleurs, les personnages mystérieux aux origines incertaines. Dans un an, le tome 2 paraîtra et vous en saurez plus ! « Relayer » n'échappe pas à cette règle et laisse le lecteur songeur à la page 48. Dommage. Car l'album est loin de manquer de qualités. A commencer par celles de son dessinateur. Même si je ne partage pas l'enthousiasme dont fait preuve Eric Liberge en avant-propos, je reconnais que Vincent Gravé donne un ton magnifique à cette histoire. Son talent est certain, mais il est, pour l'heure, très inspiré de celui de de Crécy (qui fait décidément école). Trop en tout cas pour qu'on puisse crier au génie. Elève appliqué, Gravé semble vouloir rivaliser avec le maître plutôt que s'en affranchir. Ses couleurs sont superbes, son toucher est léger, le crayon et la plume semblent se marier au moment de l'encrage. reste à trouver une voie réellement personnelle. Laissons-lui du temps. Et laissons-en aussi au futur tome 2 pour achever de nous convaincre.
L'ange de lumière (Aleph) par Thierry Bellefroid
« L'ange de lumière », tome 3 de la série Aleph, par Istin, Dim. D et Paitreau. Chez Nucléa.

Aleph n'est finalement pas si éloigné du Chant des Stryges. Il intéressera pourtant un public différent. D'abord parce que l'univers imaginé par Istin est purement un univers de science-fiction avec de petits airs de space opera. Ses stryges à lui sont des anges de mort qui combattent pour le pouvoir absolu et finiront par s'affronter entre eux, lors de l'apocalypse finale. L'idée qui sous-tend ce troisième et dernier album est que l'un de ces anges de mort est peut-être moins mauvais qu'il n'y paraît et que le Mal peut abriter le Bien. Le monde peut-il être sauvé du chaos par ceux-là mêmes qui le menacent ? Peut-être, mais il faut que des hommes de foi les aident. C'est ce qui se passe dans cette ultime confrontation aux origines satano-bibliques. Jean-Luc Istin a beaucoup puisé dans ses lectures mais son univers comporte quelques personnages attachants et une certaine cohérence graphique sous la plume de Dim. D. Aleph ne révolutionne pas la SF. Mais il fera partie de ces séries inspirées par la Bible et pourtant inscrites dans leur temps qui plairont à un public jeune.
« La lumière d'un siècle mort », tome 2 des « Mémoires d'Amoros », par Felipe H. Cava et Federico Del Barrio. Chez Amok.

Derrière une couverture en négatif jaune sur noir, derrière un superbe titre (dont la signification n'apparaît que très tard dans l'histoire), le tome 2 des « Mémoires d'Amoros » ne déçoit pas. Comme dans « Signé Mister Foo », le premier opus de cette collection, les auteurs racontent les souvenirs de jeunesse d'un journaliste que le hasard met en présence de gens et d'événements à la portée politique. Mais il ne s'agit pas pour autant d'un livre d'histoire d'Espagne en BD, loin de là. Chacune des enquêtes que raconte le journaliste (inspiré d'un personnage réel : Eduardo de Guzman, journaliste anarchiste qui a tâté des geôles de Franco et auquel l'auteur consacre une page d'hommage en guise de postface) est en elle-même à la fois une peinture de la société espagnole de l'époque et une histoire policière. On y entre comme on lirait un Léo Mallet ou un Daeninckx. Et si je fais référence à ces deux écrivains français mis en images par Tardi, c'est qu'il y a aussi quelque chose de Tardi dans le dessin de Del Barrio. Un noir et blanc d'une rare efficacité qui privilégie les gris, les ambiances et suggère les décors plus qu'il ne les montre.

L'histoire elle-même nous entraîne sur les traces d'un trafiquant d'oeuvres d'art et son fidèle ami faussaire de génie qu'une femme au sourire énigmatique va mettre sur la route d'Angel Amoros. Cette femme, Lola Negri, est à la fois le personnage central de l'histoire et un personnage secondaire. C'est par fascination pour elle que le journaliste va remonter une piste qui le mènera jusqu'à une vente d'armes aux troupes marocaines d'Abd el-Krim opposées aux Légions de Franco. L'histoire rejoint l'Histoire en passant par l'amour et la peinture de moeurs, un grand classique chez Cava, qui est sans doute l'un des scénaristes contemporains parmi les plus politiques. Sans intellectualisme, sans prétention non plus, il plante le décor des années précédant la guerre civile espagnole et nous montre des personnages qui sont aussi gris que les dessins de Del Barrio. Car dans le monde de Cava, on est rarement tout à fait blanc ou tout à fait noir. On subit davantage les événements et les cheminements parfois tortueux du destin.
Le robinet récalcitrant par Thierry Bellefroid
« Le robinet récalcitrant ! » par Jean-Pierre Duffour. Chez PMJ.

Imaginés pour l'éditeur japonais Kodansha, cinq récits en noir et blanc devaient raconter de petits épisodes de la vie d'un gratte-ciel. Duffour s'est mis au travail. Et puis l'éditeur n'a pas voulu de ses planches : pas assez logiques à son goût. C'est vrai qu'on est loin de l'univers bien terre à terre du manga. Ici, c'est l'absurde qui règne en maître. Dans un monde surréaliste, tout peut arriver, même et surtout que des personnages au faciès animalier disparaissent corps et âme dans une fuite d'eau ou escaladent des marches d'escaliers hautes comme des gratte-ciel. Le monde de Jean-Pierre Duffour est proche de celui des rêves, il est aussi plein de poésie et d'une très belle efficacité graphique qui s'exprime à travers un dépouillement qui n'a rien de hasardeux. Epuré, stylisé à la manière de celui d'un Trondheim (avec qui il a d'ailleurs produit l'excellent « Gare centrale » publié en 94 par Rackham et réédité par L'Asso en février dernier), son dessin privilégie l'équilibre et la simplicité. Il bénéficie en outre d'une très belle mise en couleur qui n'était pas prévue dans le projet initial. Quatre des cinq histoires ont été publiées dans Lapin. Ce qui n'a pas empêché Jean-Pierre Duffour d'en redessiner la moitié pour cette édition en livre. C'est tout à son honneur.
Loto et colles (Les profs) par Thierry Bellefroid
« Loto et colles », tome 2 de la série « Les profs », par Pica et Erroc, chez Bamboo.

Plébiscité par le jeune public qui lui a « offert » une superbe récompense, le prix du Meilleur Album Jeunesse à Angoulême, en janvier dernier, le premier tome des « profs » s'est vendu à plus de 26.000 exemplaires en un an. Pour une série débutante dans une petite maison d'édition ne bénéficiant pas des l'arsenal de communication des « majors », c'est un très beau résultat. Et ce n'est sans doute qu'un début. « Les profs » ne plaisent pas seulement au public enfantin. A la lecture des gags concoctés par Pica et Erroc, les adultes découvriront un monde qui leur est proche. Car contrairement aux histoires que racontent la plupart des séries d'humour qui s'intéressent à l'univers de l'école, ce ne sont pas les enfants qui sont les protagonistes principaux, mais les profs, avec leurs problèmes d'adultes. Mal payés, surmenés, chahutés, ils essaient tant bien que mal de lutter contre l'ignorance. Un humour parfois vache qui peut se lire aussi bien à dix ans qu'à soixante-dix. Les gags ne sont pas tous du même niveau, mais on leur reconnaît une qualité commune, celle de présenter une belle galerie de portraits et de ne pas mettre tous leurs effets dans la seule chute. Bien sûr, ce n'est ni Gaston Lagaffe ni Titeuf, mais il y a de la place pour tout le monde dans le créneau de l'humour. Un créneau que Bamboo a décidé d'investir à 100% puisque cette maison d'édition fondée en 1997 ne s'adresse qu'aux auteurs de BD d'humour. Un autre album paraît en même temps que ce tome 2 des « Profs » : « L'homme qui murmurait à l'oreille des 2 chevaux », par Achdé et Jenfèvre, tome 2 de la série « Les damnés de la route ».
Albert et les autres par Thierry Bellefroid
« Albert et les autres », par Delisle. A L'Association.

Si vous avez lu en son temps « Aline et les autres », on ne vous la fera pas. Vous savez déjà ce qui va se passer dans cet album qui n'est autre que la réplique sur un mode masculin du recueil paru il y a deux ans. Comme pour « Aline... », « Albert... » est l'occasion de coucher sur le papier vingt-six saynètes muettes mettant en scène les vingt-six personnages inspirés à l'auteur par chaque lettre de l'alphabet. Cette version très personnelle de l'abécédaire n'est pas à proprement parler hilarante. L'humour de Delisle s'exprime aux confins de l'absurde et du surréalisme. Il est volontiers gentiment cruel aussi, comme ce gag intitulé « Isidore » où un pêcheur à la ligne remonte une jolie jeune fille.. finalement remise à l'eau pour cause de mensurations insuffisantes. Delisle connaît bien le cinéma d'animation (il raconte dans Shenzhen, également paru à L'Asso, son séjour en Chine alors qu'il travaillait sur une série d'animation pour les éditions Dupuis). Et à regarder ses petites séquences de deux pages à l'apparence faussement grossière, on se rend compte qu'il maîtrise parfaitement la technique de la narration par l'image. Quinze cases de grandeur identiques par page, pas une de plus, pas une de moins ; la contrainte semble parfaitement lui réussir. Fernand, Klebert, Quentin, Urbain ou Zoltan, ses héros éphémères, ne s'en plaindront pas.
" La vallée des âmes tordues ", tome 1 de Angus Powderhill, par Luc Brunschwig et Vincent Bailly. Aux Humanos.

Sacré Brunschwig ! On peut le mettre dans n'importe quel genre, il fait encore du Brunschwig ! En l'occurrence, le voilà parachuté au pays ultra-piégé de l'héroïc fantasy. Et tout en respectant parfaitement les règles du genre, il arrive à nourrir ses personnages d'une dimension psychologique absolument magnifique. C'est vraiment là que Brunschwig excelle et c'est là qu'il fait sans doute la différence avec la plupart des autres concepteurs d'univers. Rejoignant un Letendre sur « La quête de l'oiseau du Temps », Luc nous propose une aventure prétexte, une quête qui doit avant tout servir de révélateur aux personnages. Et pour éviter que le lecteur « s'égare », ces personnages, il les invente difformes ou handicapés. Même son héroïne, une jeune pré-ado, est cul de jatte. On est loin des pulpeuses créatures qui foisonnent chez d'autres éditeurs. Ce n'est pas par hasard. C'est aussi parce que la fable que Brunschwig nous raconte est une fable sur la différence et sur la tolérance. Un très beau message qui n'encombre en rien le récit.

Parlons-en du récit. L'univers d'Angus Powderhill est profondément poétique. Cela tient à plusieurs choses, parmi lesquelles le choix d'une réunion de saltimbanques totalement pacifistes comme toile de fond. La nature est également très présente et les errances amoureuses de la jeune héroïne sont parfaitement traduites à chaque étape du scénario. A croire que Luc Brunschwig s'est souvenu de l'ado pré-pubère qu'il a été (je m'égare, là...). Bref, vous l'aurez compris, le conte est beau quand le conte vous fait oublier qu'il en est un. Avec des ingrédients aussi proches du merveilleux -c'est à dire aussi éloignés de notre monde- que ceux-là, on peut presque se demander comment Brunschwig se débrouille pour nous faire croire à son univers. Pourtant, on y croit. Tout de suite. Parce qu'il a les accents de la sincérité, de la vérité, de la maturité, aussi.

Mais on ne peut pas se contenter de trouver toutes les qualités au scénario de cet album sans s'arrêter un instant au dessin. Vincent Bailly s'y exprime avec aisance et simplicité. Son dessin est fluide, généreux et parvient à faire passer énormément d'émotions, notamment à travers les yeux des personnages. La mise en couleur d'Isabelle Cochet est sans faille ; elle rappellera -tout comme le dessin et l'univers des saltimbanques- l'excellent Ring Circus de Pedrosa et Chauvel chez Delcourt. Bailly est cependant plus proche de la ligne d'une Claire Wendling.
Bref, la lecture de cet album ne correspond en rien à la pléthore de quêtes plus ou moins abouties qui déferle sur la BD depuis quelques années. Il y a ici un jardin secret, un éden au coeur même des personnages. Et c'est ce jardin qui fait la beauté de l'album.

Mention spéciale pour la très belle couverture !
L'usurpateur (Arthur Pendragon) par Thierry Bellefroid
« L'usurpateur », tome 1 de la série Arthur Pendragon, par Istin, Michel et Chani. Chez Nucléa.

Guy Michel ne peut pas cacher son admiration pour Loisel. Ouvrir Arthur Pendragon, c'est plonger dans un univers « loiselien » que les couleurs de Chani viennent souligner de manière évidente. La suite de Merlin n'est pourtant pas à ranger dans les albums de fantasy. La légende y occupe une place de choix ; elle dicte aux personnages leurs funestes destinées. Avec un poil de merveilleux et surtout une magie parfois puissante et noire, le lecteur assiste ici au véritable avènement de Merlin, désormais dans la force de l'âge. Il observe aussi les luttes de pouvoir fratricides qui précèdent « l'âge d'or ». Saga historique ou saga fantastique, on ne peut pas toujours dissocier les deux. Istin, lui, semble se plaire à jouer sur les différents registres. Peut-être lui reprochera-t-on un album plus compliqué que ceux de la série « Merlin ». Les lecteurs inattentifs (surtout au début) risquent en effet d'avoir un peu de mal à suivre une histoire aux personnages nombreux. Les autres tenteront de faire la part entre la légende originale et le travail de réécriture propre à la vision du scénariste.
« Doron le Calvite II », par Clément et Olivaud. Chez Pointe Noire.

L'humour de Nicolas Clément est à l'image de son personnage fétiche : massif, caricatural. Pourtant, comme chez Hérenguel (dans les aventures de Krän le Barbare parues aux éditions Vents d'Ouest) il y a ici une façon de prendre à contre-pied toute la mythologie du héros médiéval musculeux pour provoquer le rire. Les gags sont cependant très inégaux. Certains jouent beaucoup trop sur l'effet provoqué par la chute (le coup des pieds puants, en page 15, par exemple), d'autres sont un peu tirés par les cheveux. Les meilleurs sont sans doute ceux dans lesquels les auteurs arrivent à installer un climat, une progression qui rend chaque case intéressante. C'est la cas du gag de la page 4 : « Et la tendresse ?... mortelle ». Ce sont souvent aussi les planches dans lesquelles le dessin aux apparences très brouillonnes de Sébastien Olivaud s'épure quelque peu. J'avoue avoir du mal avec ce graphisme , ainsi qu'avec la mise en couleurs d'Eric Liberge et Thomas Cloué. Tout cela manque singulièrement de lisibilité, qui est quand même la principale qualité que l'on peut attendre d'un dessin, quelle que soit sa personnalité.
Quoi qu'il en soit, les gags que je préfère sont ceux en un seul strip, une voie que devraient explorer davantage les auteurs, car c'est dans la concision qu'ils livrent leur meilleur humour.
Alberdog (Tony et Alberto) par Thierry Bellefroid
« Alberdog », tome 2 de la série Tony et Alberto, par Dab's. Chez Glénat.

Je l'avoue, le premier album m'avait davantage amusé. Mais je dois reconnaître que le deuxième est loin de m'avoir ennuyé ! Tony et Alberto reste l'une des meilleures séries du magazine « Tchô ». Et même si, en ce qui me concerne, le petit dernier, « Raghnarok », lui vole un peu la vedette, je trouve que Dab's conserve dans ses gags une vivacité et une fraîcheur qui n'est pas courante. Les plus drôles sont peut-être les gags entièrement muets, ce qui rejoint des exercices similaires chez Kid Paddle. Le Kid n'est jamais aussi hilarant, en effet, que lorsque le comique est totalement visuel. Sans doute ces gags sont-ils les plus difficiles à inventer. Mais ils apportent la preuve éclatante que leurs scénaristes ont tout compris au dessin et à l'image.
Dab's est arrivé à conserver son univers tout en décalant légèrement son regard, pour cette deuxième livraison de planches en album. Moins centré sur les performances sonores et odorantes de ses deux héros qui fournissaient la matière de nombreux gags du tome 1, ce « Alberdog » fait la part belle aux personnages secondaires. Les plus drôles sont la montagne de muscles avec laquelle Tony a quelques démêlés à la plage et le justicier Alberdog qui n'est autre qu'Alberto, affublé d'un ridicule masque noir. En passant, un gag qui m'a fait beaucoup rire, c'est celui où Tony est surpris par un de ses copains en train de humer une fleur. Le copain lui demande : tu fais quoi ? Tony s'empresse de répondre : tu vois bien, j'écrabouille cette fleur. Les deux gamins repartent. « C'est marrant, de loin on aurait dit que tu la sentais », dit son copain. Et Tony répond « Hé ho ! chuis pas une fille ! ». Ce qui est très amusant, c'est que vous pourrez retrouver exactement le même gag dans le tome 2 de « Doron le Calvite », chez Pointe Noire. La petite fleur est simplement devenue un petit oiseau tombé du nid. Hasard ou plagiat ? Et si plagiat... qui a copié qui ?...
Self-Service par Thierry Bellefroid
« Self Service », album collectif paru aux éditions Fréon

J'avais déjà tenu des OVNIS dans mes petites mains, mais celui-ci surclasse tous les autres ! Conçu pour l'exposition éponyme qui s'est tenue au Salon de l'illustration et de la BD de Lisbonne 2001, « Self Service » est un album aussi ironique qu'onirique.

L'ironie n'échappera à personne. Le titre et les vignettes de réduction collées les unes aux autres qui constituent la couverture ne laissent aucun doute. A l'intérieur, toutes les notes et les textes eux-mêmes sont représentés sur des tickets de caisse. Pied de nez à la grande distribution, ce livre est avant tout le livre d'artisans tisseurs. Les tisseurs de mots d'un côté, les tisseurs d'images de l'autre. Rencontre improbable entre la poésie et la BD, « Self service » vous propose 27 poèmes sur ou autour de la BD illustrés par autant de dessinateurs qui, eux, ont joué la carte du pastiche. Ça vous paraît compliqué ? Prenons un exemple. A gauche, un poème de Jan Baetens sur Little Nemo, présenté en français, en anglais et en portugais. A droite, une planche de Pascal Placeman, qui est un pastiche de la BD de Winsor Mac Cay. Pastiche ? Pas si sûr. Dans cette petite histoire qui joue les mises en abîme, le vrai pastiche n'est peut-être pas celui qu'on croit.

Plus loin, d'autres poèmes de Jan Baetens (hormis « Baetens ad hoc anacoluthe », un texte sur Hergé écrit par Olivier Deprez, tous les poèmes sont de lui). Ils s'attaquent à E.P. Jacobs, à Tardi, à Vandersteen ou Marc Sleen (respectivement créateurs de Bob & Bobette et de Néron), à Schuiten-Peeters, à Maus (de Spiegelman), à Lorenzo Mattotti ou à Alberto Breccia. Et à chaque fois, un dessinateur renvoie l'ascenseur à sa manière. C'est singulier, à la fois très intellectuel et très primitif, purement destiné à un public averti, désireux d'aller demander à la poésie ce qu'elle pense de l'image et à l'image ce qu'elle pense de la bande dessinée. Pour ceux qui sont prêts à tenter l'aventure, cela réserve de très beaux moments.
La maison double (Dylan Dog) par Thierry Bellefroid
« La maison double », une aventure de Dylan Dog, par Sclavi et Casertano. Chez Hors Collection.

Hors Collection poursuit la traduction des aventures du détective de l'étrange. Moins proche de la veine X-Files que le premier, ce deuxième album distille l'angoisse dès les premières pages. On suit les affres d'un locataire introverti et paranoïaque mis sous pression par les autres habitants de son immeuble. Le moindre geste, le moindre bruit lui fait craindre de nouvelles représailles. Et puis tout bascule. A la mort du bonhomme, Dylan Dog entre en scène. Et contre toute attente, il perd les pédales à son tour. Le malaise monte d'un cran, l'angoisse sourd du dessin de Casertano, on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui est faux... L'enquêteur en cauchemars en a pour son argent. Et nous aussi !
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